ChatGPT peut nuire à ta créativité

Édité pour la dernière fois
Jan 8, 2025 6:31 PM

Conversation qui semble éternelle dans le monde de l'intelligence artificielle générative :

- ChatGPT me rend plus créative!

- N'importe quoi! Il fait juste me proposer des idées génériques... ☠️

- C'est parce que tu ne sais pas l'utiliser! Il me donne des super idées!!

- Yo. Je donne des formations sur le sujet. Dis-moi pas que je sais pas l'utiliser! Je constate juste qu'il est poche pour sortir des idées qui sortent vraiment de l'ordinaire.

Je me suis obstiné avec beaucoup d'humains sur le sujet, ces dernières années.

Pour moi, c'est évident que les modèles de langage larges sont moins créatifs que les humains. Je déteste les utiliser à l'étape du brainstorm parce que je trouve qu'ils sortent toujours les trucs les plus attendus, les plus convenus, les plus « évidents ».

Mais y a des gens qui sont en total désaccord avec moi sur le sujet. À leurs yeux, c'est l'inverse qui est vrai : l'IA leur permet clairement de sortir des meilleures idées à l'étape du brainstorm.

Et si tout le monde avait raison, finalement?

Et si les modèles avaient la capacité de rendre certaines personnes plus créatives... tout en coupant véritablement la créativité d'autres humains? 👀

Les humains les moins créatifs bénéficient de la créativité de l'IA... mais c'est vrai qu'elle rend d'autres humains moins créatifs.

C'est en tout cas la conclusion d'au moins une étude sur le sujet!

Doshi et Hauser (2024) ont mené une expérience où ils demandaient à des participants d'écrire une mini-histoire de quelques phrases. La twist?

Une partie des participants avait accès à des idées de départ générées par GPT-4, l'autre non. On a aussi évalué la créativité des participant·es via un test standardisé avant le test.

Leurs résultats montrent que les idées de GPT-4 n'améliorent PAS la créativité des histoires pour les personnes les plus naturellement créatives. Elles sont capables de faire aussi bien, voire mieux, sans l'aide de l'IA.

Par contre, pour les personnes les moins créatives au départ, avoir accès à des suggestions de GPT-4 améliorait substantiellement :

  1. la créativité et
  2. les caractéristiques émotionnelles de leurs histoires.
image

L'IA aide donc véritablement les personnes moins créatives à infuser de la créativité dans leurs écrits (et probablement aussi dans toutes sortes d'autres projets).

Mais il y a un gros hic!

Avoir accès à l'IA rendait aussi les histoires produites plus similaires les unes aux autres.

Autrement dit, l'IA entraîne une espèce d'homogénéisation de la créativité. Les auteurs notent :

« Si ces résultats indiquent une augmentation de la créativité individuelle, il y a un risque de perte de nouveauté collective. »

Perso, j'utilise l'IA générative surtout pour approfondir, puis articuler mes idées initiales, mais pratiquement jamais pour le brainstorm de départ.

Par exemple, pour ce texte, j'ai :

  • Créé un projet avec les études que je voulais citer comme fichiers de référence
  • Fourni à Claude un plan détaillé de mon argumentaire
  • Et je lui ai demandé d'écrire un premier jet en suivant mon plan.

J'ai retravaillé le texte autant par la promptogénie (en demandant des modifications à Claude) qu'à la mitaine, en réécrivant ou en ajustant moi-même certains passages.

J'obtiens de super bons résultats en travaillant comme ça.

Je travaille plus rapidement, mais c'est toujours moi qui amène la matière première, l'IA m'aide juste à la développer.

J'évite, comme ça, de tomber dans le piège de sacrifier ma créativité sur l'autel des probabilités. Je continue de me démarquer avec des contenus réfléchis par un humain, plutôt que de laisser l'IA m'entraîner vers une homogénéisation lente des contenus...

Je trouve d'ailleurs que ça fait un beau lien avec mon texte sur le basketball! Mais ce n'est même pas la chose qui m'inquiète le plus en lien avec l'IA et la créativité...

Les humains ont plus confiance en la créativité de l'IA qu'en celle des humains. 🥲

Ok. Celle-là est un peu plus complexe à expliquer.

Sois patient·e avec moi.

Medeiros et al. (2024) ont fait lire à des participant·es des listes de mots en leur disant qu'elles venaient soit d'un humain, soit de ChatGPT.

Le but était ensuite de leur faire écrire eux-mêmes des listes contenant les mots les plus différents les uns des autres possible, un test de créativité classique.

Le fait de montrer différentes choses aux participant·es avant de leur faire réaliser une tâche, pour voir si ça va faire une différence, on appelle ça du « priming ».

Ici, le test, c'était de montrer différentes listes à différents participants, mais il y avait aussi un piège. Dans certains cas, on leur disait que la liste « d'inspiration » provenait d'un autre humain... et dans d'autres cas, d'une intelligence artificielle (ChatGPT).

Une des listes utilisée comme primer était vraiment peu créative. Les participant·es étaient d'ailleurs capables de l'identifier comme une liste poche, et ce, peu importe qu'on leur dise qu'elle vienne d'un humain ou d'une IA.

Jusqu'ici tout va bien, mais voici LE truc inquiétant :

  • Quand la liste médiocre (avec des exemples peu créatifs) venait d'un humain, les gens la remettaient facilement en question. Ça n'affectait pas leur performance au test ensuite.​
  • Mais quand la même liste pourrie était étiquetée comme venant de ChatGPT, ils ne la remettaient pas autant en question... et ça influençait négativement leurs résultats au test!

Pour être parfaitement claire, le groupe exposé à des suggestions peu créatives venant soi-disant de ChatGPT a ensuite généré des listes significativement moins créatives que TOUS les autres groupes.

Genre ils ont eu les pires résultats de toute l'étude!

C'est comme si les gens avaient une forme de respect ou de révérence pour l'IA qu'ils n'accordent pas aux autres humains.

Quand la liste médiocre vient (soit-disant) d'un autre humain, c'est facile de se dire qu'on peut faire mieux. Mais si la liste a été (soit-disant) générée par GPT, un espèce de raccourci intellectuel en mode  « ça vient de l'IA, donc ça doit être bon! » nous empêche d'utiliser notre créativité à son plein potentiel. 🫣

On a la fausse croyance qu'on ne peut PAS faire mieux que l'IA, alors on met moins d'effort dans la tâche créative.

En résumé :

  • L'IA, utilisée à l'étape du brainstorm, peut rendre les personnes les plus créatives de notre société moins créatives...
  • Mais en plus, comme on a tendance à se fier à l'IA, on peut accepter des propositions « ordinaires » de sa part, sans réaliser qu'on pourrait faire mieux par nous-mêmes!

Je trouve ça inquiétant dans un monde où je dois encore régulièrement expliquer à des gens ce que sont les hallucinations ou pourquoi les modèles de langage larges ne sont PAS des foutus moteurs de recherche...

Combattre la sur-confiance en éduquant sur les forces et les faiblesses des modèles.

Je termine cette infolettre en te citant une étude de Marmolejo-Ramos et al. (2023), qui suggère une piste pour combattre la sur-confiance en l'IA: la littératie statistique.

En gros, plus tu t'y connais en probabilités :

  • PLUS tu fais confiance aux algorithmes et aux IA pour les demandes sans conséquence grave, mais...
  • MOINS tu leur fais confiance pour les demandes qui ont des conséquences importantes.

Comme les chercheurs l'expliquent:

« Les résultats de la recherche suggèrent que la littératie statistique est positivement associée à la probabilité de faire confiance à un algorithme quand les enjeux sont faibles, mais négativement associée à la probabilité de faire confiance à un algorithme quand les enjeux sont élevés. » (Traduction libre)

Parce qu'en comprenant mieux comment les algorithmes et modèles fonctionnent, on est aussi capables d'entrevoir voir leurs limites.

« Les individus avec un haut niveau de littératie statistique sont plus susceptibles de reconnaître les limites et les biais potentiels des algorithmes utilisés dans les décisions importantes de la vie. Cela n'est pas seulement lié à la pensée critique, mais plutôt à une compréhension plus profonde des lacunes des systèmes de décision automatisés. » (Traduction libre)

image

Ce que je retiens de ce papier? La clé pour rester critique face à l'IA, c'est l'éducation. Il faut donner aux gens les outils pour comprendre, au moins dans les grandes lignes, comment les modèles fonctionnent.

Les études citées dans ce texte :

  • Doshi, A. R., & Hauser, O. P. (2024). Generative AI enhances individual creativity but reduces the collective diversity of novel content. Science Advances10(28), eadn5290.
  • Medieros, K., Cropley, D. H., Marrone, R. L., & Reiter-Palmon, R. (2024). Human-AI Co-Creativity: Does ChatGPT make us more creative?.
  • Marmolejo-Ramos, F. (2023). Trust in algorithms. An experimental approach.

En espérant que ça te donne envie de faire davantage confiance à la créativité des humains. ♥️